Catégorie : Minier
« Il contacta sa fille sur Skype ce soir-là. Elle apparut sur l’écran, son bébé dans les bras. Servaz ne s’était toujours pas habitué à ces technologies qui permettaient de relier Toulouse à Montréal et d’entrer dans l’intimité de chaque foyer, qui rapetissaient le monde au point de lui ôter une bonne partie de sa magie. Il y voyait un progrès mais aussi un terrible danger –celui d’un monde sans murs, sans portes, sans recoins où se cacher, sans possibilités de penser à l’abri du bruit et des injonctions. Un monde livré à l’instantanéité, au jugement des autres, à la pensée unique et à la délation, où le moindre geste s’écartant de la norme vous vaudrait d’être suspect et par suite accusé, où la rumeur et les préjugés remplaceraient la justice et la preuve, un monde sans liberté, sans compassion, sans compréhension. »
« Ce qu’il y a d’extraordinaire avec le data, c’est que désormais nous pouvons trouver des millions d’aiguilles dans des milliards de bottes de foin. […] Les gens mentent. Par omission, par cynisme, par honte, par intérêt ou pour donner ou avoir une meilleure image d’eux-mêmes, ils mentent. À leurs amis, à leurs proches, à leur patron, à leurs collègues, et aussi aux psychologues et aux questionnaires, et bien sûr à eux-mêmes… Mais une fois euls et connectés, à l’abri des regards, ils partagent leurs frustrations sexuelles, leurs inquiétudes sur leur santé, leur haine des autres, tout ce qu’ils n’avoueraient pour rien au monde… […] Et que nous montre cette extraordinaire masse de connaissances nouvelles ? Un monde totalement différent de celui présenté par des générations entières de philosophes, de sociologues, de psychanalistes, d’écrivains, de théoriciens, d’idéologues. »
« C’est alors que cela débuta. La situation qui dégénère brusquement, l’enchaînement imprévisible des événements, la roue qui tourne et tourne, le temps qui s’accélère et s’emballe. La fuite en avant. Le chaos. L’entropie. Stop. Arrêt sur image. Rembobinage. »
« Noir. Quelque chose l’a réveillée. Tout à coup, Christine est sur son séant, à la tête du lit. Dans… l’obscurité ! Le noir complet ! Un vertige glacé, une sensation de chute… Elle tend la main vers la veilleuse. Tâtonne, fébrile. Actionne le bouton. Rien ne se passe. Une panne électrique… Noir. Quelqu’un a tiré les rideaux de la chambre et éteint les lumières de la salle de bains. Elle a du mal à respirer. Sa bouche, ses narines, ses globes oculaires s’emplissent de ténèbres, comme d’eau ceux d’un noyé. Elle suffoque, elle respire les ténèbres, elle les mange. »
« Prix du meilleur roman francophone au Festival polar de Cognac »
Extrait des remerciements de l’auteur :
« Quant à l’une des sujets de ce livre –la fin de la vie privée, la menace que fait peser sur nos libertés politique et personnelle le développement tous azimuts d’Internet et la façon dont, d’un instrument d’émancipation planétaire, il est sur le point de devenir un instrument de contrôle et d’endoctrinement planétaire que se disputent gouvernements, fanatiques et simples citoyens-, il ne concerne pas seulement les personnages de ce livre : il nous concerne tous. »